Définie comme « l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou par son usage »[1], l’artificialisation peut être considérée comme un phénomène qui contribue à la dégradation de la biodiversité.
Face à ce phénomène, que les différents textes législatifs depuis la loi nᵒ 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) n’ont que très peu endigué, la convention citoyenne a émis des propositions fortes.
Par suite, la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets a institué l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN). Celui-ci vise essentiellement l’atteinte de deux objectifs : réduire de moitié le rythme d’artificialisation nouvelle entre 2021et 2031 par rapport à la décennie précédente d’une part, et atteindre une artificialisation nette 0%, c’est-à-dire avoir autant de surfaces renaturées que de surfaces artificialisées à l’horizon 2050 d’autre part.
Ces objectifs ambitieux intègrent, à une échelle mondiale, les recommandations des Nations Unies qui incitent à accorder une plus grande attention aux petites villes où vit la majorité de la population dans les programmes de planification urbaines[2].
L’objectif ZAN, dont l’enjeu est la protection de l’environnement en maitrisant mieux la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers, a logiquement été saluée par les différentes sensibilités politiques françaises. Au début de la réforme, l’absence de définition précise a fait croire aux élus locaux qu’ils pouvaient librement donner un contenu aux politiques d’artificialisation. Si la parution de deux décrets d’application le 29 avril 2022 a vite calmé les ardeurs voire « suscité une fronde des élus locaux, qui dénoncent une incohérence par rapport à l’esprit de la loi et redoutent une mort à petit feu des communes rurales »[3] (I), l’adoption par le Sénat le 16 mars 2023 d’une proposition de loi « visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de 'zéro artificialisation nette' au cœur des territoires » (II) tend à assouplir le zéro artificialisation nette, les objectifs de l’Etat ou du gouvernement.
Pour atteindre l’objectif « zéro artificialisation nette », le gouvernement fait peser une responsabilité supplémentaire sur les collectivités territoriales.
Avec un premier décret n°2022-762 du 29 avril 2022 relatif aux objectifs et aux règles générales en matière de gestion économe de l’espace et de lutte contre l’artificialisation des sols du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, il a fixé à chaque région un objectif décennal de réduction de l’artificialisation de son territoire. À terme, chaque région devra intégrer ces objectifs dans son document de planification : le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (article L.4251-1 du code général des collectivités territoriales) ; le plan d'aménagement et développement durable de Corse (article L.4424-9 du code général des collectivités territoriales) ; le schéma d'aménagement régional (article L.4433-7 du code général des collectivités territoriales) ; le schéma directeur de la région d'Île-de-France (article L.123-1 du code de l’urbanisme).
Dans la même perspective, les documents de planification à l’échelle territoriale (les schémas de cohérence territoriaux), intercommunale ou communale (Plan Local d’Urbanisme intercommunal, Plan Local d’Urbanisme ainsi que les cartes communales) devraient intégrer les prescriptions régionales afin que les communes et les établissements publics de coopération intercommunales puissent à leur niveau respecter les objectifs fixés.
Dans un second décret n°2022-763 du 29 avril 2022, une nomenclature des sols artificialisés et des sols non artificialisés a été fixée, l’artificialisation nette s’évaluant « au regard du solde entre les surfaces artificialisées et les surfaces désartificialisées sur le périmètre du document de planification ou d’urbanisme, sur une période donnée »[4]
Un certain nombre d’élus locaux ont dénoncé aussi bien le premier décret fixant les objectifs d’artificialisation que le second relatif à la nomenclature des sols artificialisés et non artificialisés. Les critiques portent d’abord sur le calendrier de modification des documents d’urbanisme fixé par le premier décret cité. « L’échéance de révision des SRADDET et autres documents régionaux avant février 2024 implique une finalisation du travail concret sur le projet de document d’ici le printemps 2023 (au regard des exigences procédurales du code d’urbanisme) ». Or, l’article 194 de la loi climat résilience sanctionne le non-respect du calendrier fixé de manière sévère :
« 9° Si le schéma de cohérence territoriale modifié ou révisé en application du 6° du présent IV n'est pas entré en vigueur dans les délais prévus au même 6°, les ouvertures à l'urbanisation des secteurs définis à l'article L. 142-4 du code de l'urbanisme sont suspendues jusqu'à l'entrée en vigueur du schéma ainsi révisé ou modifié.
Si le plan local d'urbanisme ou la carte communale modifié ou révisé mentionné aux 7° ou 8° du présent IV n'est pas entré en vigueur dans les délais prévus aux mêmes 7° ou 8°, aucune autorisation d'urbanisme ne peut être délivrée, dans une zone à urbaniser du plan local d'urbanisme ou dans les secteurs de la carte communale où les constructions sont autorisées, jusqu'à l'entrée en vigueur du plan local d'urbanisme ou de la carte communale ainsi modifié ou révisé ».
Ensuite, le fait que la loi ait choisi la Région en tant que collectivité territoriale pour piloter l’atteinte des objectifs du ZAN « peut laisser craindre, dans certains territoires, une association insuffisante des communes et intercommunalités, à qui la loi confie pourtant à titre premier la compétence en matière d'urbanisme »[5]. C’est pourquoi certains plaident pour une meilleure prise en compte des élus communaux qui sont, au demeurant, en première ligne en matière d’urbanisme.
Enfin la nomenclature des sols artificialisés et des sols non artificialisés et surtout le mode de calcul du solde entre les surfaces artificialisées et les surfaces désartificialisées ont suscité la réprobation de la part de certains élus locaux. Cette nomenclature et le mode de calcul qu’il implique sanctuarisent les espaces naturels et obligent une renaturation des espaces artificialisés. Ils posent cependant d’énormes défis aux petites villes qui doivent attirer aussi bien de nouveaux habitants que des investisseurs économiques. Dès lors, ces élus se posent légitimement plusieurs questions :
« comment traduire le ZAN dans les politiques publiques ? Comment renforcer l’attractivité de son territoire sans construire sur des terres vierges ? Comment faire pour attirer des jeunes ménages actifs si on ne peut plus leur garantir une maison individuelle avec jardin dans un lotissement ? Comment financer la renaturation d’une friche suite au départ d’un commerce ? »[6]
Face à ces interrogations, plusieurs sénateurs de diverses tendances politiques ont déposé, le 14 décembre 2022, une proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de la loi climat résilience.
Le texte adopté par le Sénat vise à :
« - préciser que la conférence régionale de gouvernance de la politique de réduction de l’artificialisation est l' incarnation organique de la volonté de territorialiser la mise en œuvre du principe de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols, en cohérence avec les principes de libre administration des collectivités territoriales, de subsidiarité et de différenciation défendus par le Sénat ;
- inclure les projets d’intérêt pour la souveraineté économique nationale ou européenne parmi les grands projets afin que leur impact en termes d’artificialisation ne soit pas imputé à la collectivité territoriale qui l’accueille ;
- prévoir une majoration de la surface minimale de développement communal pour les communes nouvelles ;
- ne pas comptabiliser l’artificialisation liée aux bâtiments agricoles ;
- clarifier le statut des friches de surfaces artificialisées ;
- faciliter le recours au droit de préemption "ZAN" afin que les collectivités territoriales puissent réagir plus vite dans la période transitoire ;
- imputer sur la période 2011-2021 les projets ayant fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique ou d’une déclaration de projet avant la loi climat-résilience. »
L’adoption définitive de cette proposition de loi peut-elle décrisper les positions entre certains élus locaux et le gouvernement ? La réponse est positive, à en croire les porteurs de la proposition. En tout cas, plusieurs articles adoptés apportent des réponses aux critiques jadis formulées. L’article 5 de la proposition de loi favorise une meilleure concertation des communes et des établissements publics de coopération intercommunale dans la mutualisation de projets d’ampleur régionale.
Afin de pas trop pénaliser le développement économique des petites villes, le texte prévoit, dans son article 4, d’inclure les projets d’intérêt pour la souveraineté économique nationale ou européenne parmi les grands projets, pour que leur impact en termes d’artificialisation ne soit pas imputé à la collectivité territoriale qui les accueille.
Adopté le 16 mars 2023 en première lecture par le Sénat, il reste à voir si le texte sera validé en l’état par l’Assemblée nationale.
Aucune certitude ne saurait être formulée à cet égard. Au demeurant, malgré de belles avancées, le texte adopté, qui prévoit dans son article 9 que « les surfaces végétalisées à usage résidentiel, secondaire ou tertiaire (jardins particuliers, parcs, pelouses...) soient considérées comme non artificialisés », n’est pas exempt de toute critique.
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